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— Vous vous en êtes privé bien volontairement plus d’une fois.

— Il est vrai que j’ai souvent profité de ta présence auprès de ma mère pour aller travailler dans ma chambre. Ce n’était pas bien poli, mais je ne pensais pas que tu l’eusses remarqué.

— J’ai remarqué avec plaisir que vous comptiez assez sur mon dévouement pour ne pas vous gêner avec moi.

— Avec plaisir ! J’aimerais mieux que tu l’eusses remarqué avec dépit, ou tout au moins avec regret.

— Plaît-il, mon parrain ? dit Marianne en s’arrêtant et en regardant encore André avec ses grands yeux noirs, nonchalamment questionneurs.

L’expression dominante de sa physionomie était celle d’un étonnement qui attend qu’on lui explique toute chose, afin de n’avoir pas la peine de chercher.

— Il paraît, pensa Pierre, que je viens de dire une sottise, car je ne sais comment l’expliquer.

Il n’avait plus qu’un parti à prendre, qui était de se retirer pour couper court.

— Je ne veux pas te faire marcher plus longtemps, dit-il en laissant aller le bras de Marianne, j’oublie qu’en me rapprochant de mon gîte je t’éloigne du tien. Puisque tout est convenu, je n’ai plus rien à te demander. Je t’amène ton fiancé dimanche prochain.

— Je n’ai pas encore de fiancé, répondit froidement Marianne ; et, quant au projet de dimanche, il faut que votre mère consente à être de la partie ; sinon, c’est impossible. J’irai ce soir le lui demander, si toutefois cela ne vous dérange pas.

— Non, cela ne me dérange pas, dit un peu sèchement André, que ce ton de cérémonie impatientait et blessait réellement. Au revoir donc !

Et il s’éloigna mécontent, presque chagrin.

— Quelle froide petite nature ! se disait-il en marchant vite, d’un pas saccadé. Étroite d’idées, personnelle, glacée, sage par crainte du qu’en dira-t-on, c’est-à-dire prude. Où avais-je l’esprit tantôt quand je me