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d’archéologie, il y consignait ses remarques, y jetait parfois le croquis d’une ruine ou d’un paysage, et, comme il ne se défendait pas d’aimer et de goûter la nature et l’art, il se trouvait souvent que ses observations prenaient une forme descriptive assez littéraire.

— Mon mal, se dit-il, c’est la rêverie. Je m’y évapore comme une brume au soleil. Quand je fixe ma jouissance par l’expression, je m’en trouve bien. Pourquoi n’essayerais-je pas de fixer aujourd’hui ma souffrance ? car je souffre, le diable sait pourquoi, et je pourrais souffrir longtemps ainsi sans le découvrir moi-même. Sortons du vague, dégageons-nous de l’inconscience, voyons ce que c’est ! Si je peux le formuler, c’est que cela existe ; sinon, ce n’est rien et passera tout seul.

En devisant ainsi avec lui-même, Pierre avait taillé son crayon et ouvert son album ; assis sur l’herbe à l’ombre des saules et des aulnes, il écrivait :

VI

« Je m’ennuie absolument depuis une semaine. Mon ermitage ne réalise pas mon joli rêve. Je le voudrais moussu, garni de pampres et de clématite. Avant que tout ce que j’ai planté serve de tapisserie, je ne vois que mes murs d’un blanc criard avec leurs encadrements de briques trop neuves. Heureusement ma mère admire tout et se promet de vivre cent ans dans ce palais. Pauvre chère femme ! qu’elle y vive, qu’elle en soit fière, qu’elle s’y plaise ; je supporterai l’incommensurable ennui qui va peut-être m’y ronger !

« Je dis encore peut-être. — Qui sait ? J’ai cru longtemps qu’ayant tant de facultés pour l’aspiration et le regret, j’en aurais pour le renoncement et le calme ;