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trouvé à se marier. On la disait trop difficile et portée à l’originalité, défaut plus inquiétant qu’un vice aux yeux des gens de son entourage. On lui reprochait d’aimer la solitude, et on ne s’expliquait pas qu’orpheline à vingt-deux ans, elle eût refusé l’offre de ses parents de la ville, un oncle et deux tantes, sans parler de deux ou trois cousines, qui eussent désiré la prendre en pension et la produire dans le monde, où elle eût rencontré l’occasion d’un bon établissement.

La Faille-sur-Gouvre n’était pas une ville sans importance. Elle comptait quatre mille habitants, une trentaine de familles bourgeoises, riches de cent mille à trois cent mille francs, plus des fonctionnaires très-bien et connus depuis plusieurs années, enfin un personnel convenable, où une héritière, si exigeante qu’elle fût, eût pu faire son choix.

Marianne avait préféré rester seule dans la maison de campagne que ses parents lui avaient laissée en bon état, suffisamment meublée, et dans un site charmant de collines et de bois à peu près désert, à quatre kilomètres de la Faille-sur-Gouvre.

La contrée, située vers le centre de la France, était d’une remarquable tranquillité, surtout il y a une cinquantaine d’années, époque à laquelle il faut rapporter ce simple récit. De mémoire d’homme, il ne s’y était passé aucun drame lugubre. Le paysan y a des mœurs douces et régulières. Il est propriétaire et respecte ses voisins pour en être respecté à son tour. Les maisons sont pourtant clair-semées dans la région qu’habitaient Marianne et Pierre André, à cause des grandes étendues de landes et de taillis, qui offrent peu de ressources à la petite propriété, et qui d’ailleurs appartiennent par grands lots aux gros bonnets de la province.

Pierre André avait près de quarante ans, et depuis un an seulement vivait, lui aussi, retiré à la campagne, non loin de Marianne Chevreuse, dans une bien modeste maisonnette qu’il était en train d’arranger avec l’intention d’y finir ses jours.