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» — Aussi, observa Nouville, il a été payé soixante mille francs !

» — C’est pour rien, repartit Abel. Venez, monsieur Owen, vous entendrez le son ! Vous êtes digne de savourer cette ambroisie.

» Nous voilà donc arrivés en un instant au logis d’Abel. Son domestique déballe d’excellent vin, qu’il s’est procuré Dieu sait où. Nouville déballe son violoncelle. Abel déballe son violon, non celui que vous avez entendu ici, mais un autre, plus précieux, qui vient tout droit de Baillot. Puis les voilà s’essayant, s’accordant et jouant comme des anges tout en riant comme des fous, heureux de se retrouver ensemble et de s’entendre mutuellement. Entre chaque morceau, on trinquait à la santé de tous les maîtres vivants ou morts. Abel, si fatigué ce matin, était rayonnant de force et de puissance. Ils ont été admirables, sublimes, et ils m’ont grisé. Oui, mes enfants, grisé de musique et aussi un peu de bon vin. Je voyais trouble en les quittant, et il m’a fallu la crainte d’inquiéter Sarah pour ne pas m’oublier là tout le reste du jour et de la nuit.

— Vous n’êtes pas… ce que vous dites, mon père ! m’écriai-je. Vous n’êtes pas gris du tout, vous ne l’avez jamais été !

— Si fait, répondit-il, quelquefois, jadis !… et aujourd’hui je crois bien… mais cela s’est dissipé en route. J’ai craint d’être grondé, et je vais bien docilement prendre mon bain ferrugineux, puisque