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pas. Quand j’ai été fortement ému par exemple, ou que j’ai joué avec trop de passion, je tombe comme une brute, et il faut que je dorme ou que je meure. Il m’est arrivé d’être excité au point d’oublier la nourriture et le sommeil pendant des jours et des nuits ; mais il m’est arrivé aussi de dormir quarante-huit heures sans pouvoir faire un mouvement, sans entendre les gens qui me secouaient pour partir.

Il ajouta qu’il était déjà très-fatigué la veille, et qu’en acceptant l’invitation de mon père, il n’avait pas du tout compté passer la nuit chez nous. Il avait laissé le matin son domestique à Revins, en le chargeant de lui trouver un gîte. Il n’avait donc pas cru devoir se ménager en improvisant dans la soirée, et après il s’était senti épuisé. Mon père l’avait conduit à un excellent lit où il s’était littéralement anéanti sans savoir où il était.

Je dus accepter ses excuses, qui paraissaient tout à fait plausibles à mon père, évidemment très-engoué de lui. Il fut calme durant le déjeuner et même prosaïque, car il mangea, selon moi, avec l’appétit et la sensualité d’un simple mortel. Je le regardais manger et boire, et me demandais pourquoi il m’avait paru si beau. Il ne l’était peut-être pas, il était trop gras pour un artiste : bien qu’il eût de l’élégance, la ceinture souple et de belles proportions, il y avait dans son buste le développement que comporte une quarantaine d’années, et il n’en avait que trente-deux. Sa figure, trop ronde, était d’un