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À l’idée de ne plus revoir celui que je m’efforçais de dédaigner, je sentis quelque chose qui se brisait en moi, et, par un mystérieux hasard, une corde de piano se rompit et sauta avec bruit. Je ne pus retenir un cri, puis aussitôt je me mis à rire, et j’assurai mon père qu’il se méprenait sur le sens de mes paroles, que celles de M. Abel ne m’avaient nullement offensée. Je ne sais si je mentais. Je crois que non, car il me fallait faire un grand effort pour être irritée, et le souvenir qui me troublait avait un charme invincible. Oui, je veux être sincère, je me défendais que la chose pût être, et elle était. J’aimais cet homme, que ma raison qualifiait en vain de hâbleur et d’insensé.

J’eus beaucoup de peine à m’endormir. J’avais encore assez d’empire sur moi-même pour chasser le fantôme qui m’obsédait ; mais le chant de son violon inspiré était dans ma tête et n’en pouvait sortir. Il me revenait sans cesse en phrases brûlantes, que ma mémoire cherchait à souder et à interpréter. Il y avait sur ce chant haletant et impérieux des paroles qui murmuraient des reproches à mon oreille, et, dans d’autres fragments de mon souvenir musical, d’ineffables tendresses qui me persuadaient malgré moi. Ma petite Sarah était agitée aussi. Elle aussi dans la journée avait eu de l’émotion, de la peur, de la curiosité, de la surprise et du plaisir ; elle rêva qu’elle dansait, et un adorable sourire errait sur sa bouche pendant qu’elle