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pour avoir l’occasion de gagner quelque chose.

Je crus devoir le contenter, et, mettant la main à ma poche, je le priai de jouer un air gai pour ma petite fille. Il vit mon mouvement, car il avait de grands yeux d’une incomparable largeur de regard, si l’on peut ainsi parler ; ses prunelles, d’un noir clair, avaient des reflets dorés et semblaient embrasser et caresser rapidement toutes choses et toutes actions. Il se posa gaiement et lestement en ménétrier de village, et racla avec entrain une sorte de montferrine étourdissante qui mit Sarah en joie. En la voyant sauter gracieusement sur le sable fin où ses petits pieds marquaient à peine leur empreinte, il s’exalta comme s’il eût été un enfant lui-même et redoubla le mouvement. Je dus l’arrêter, lui ôter presque l’archet des mains ; la petite devenait nerveuse et folle comme lui.

— C’est assez, lui dis-je en lui donnant une petite pièce de cinq francs en or. Vous faites très-bien danser ; mais il ne faut pas que ma fille se fatigue. Merci, et adieu.

Il prit la pièce, la regarda, la baisa, la mit dans la poche de son gilet, leva en l’air son chapeau de feutre mou, et resta planté comme une statue, mais me suivant de son grand œil hardi et caressant, moitié faucon, moitié colombe.

En vérité, c’était un personnage étrange, et, quand je fus remontée dans ma barque avec Sarah, je me demandai, en résumant toute cette apparition, si