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à ses deux gendres, et craignant pour sa dignité, s’éloignerait de ses deux filles et se trouverait réduit à la solitude et à la pauvreté. Il avait été avocat dans sa jeunesse, et, comme il avait du talent et la connaissance des affaires, il ne se préoccupait jamais de rien pour lui-même. Quand je lui remontrais qu’il nous donnait trop de son propre avoir, il répondait en souriant qu’il ne serait jamais pauvre, puisqu’il pouvait reprendre sa profession et en vivre honorablement.

C’était encore une généreuse illusion. En épousant ma mère, dont la délicate santé avait rendu le climat de la France nécessaire, il avait dû peu à peu renoncer à son état, perdre sa clientèle et voir s’éteindre ses relations. Je n’acceptais pas l’idée qu’à cinquante-cinq ans il dût être forcé de recommencer les efforts et de subir les privations de sa jeunesse. Sa santé n’était pas d’ailleurs des plus robustes ; il aimait la France : retourner vivre dans son pays eut été une chose grave et certainement pénible. Je résolus de me consacrer à lui et de ne pas songer au mariage, ou tout au moins de soumettre le fiancé qui gagnerait mon estime à de longues épreuves. Plusieurs aspirants se présentaient ; une fille qui possède près d’un million n’en manque jamais. Je ne me permis pas seulement de regarder si ces messieurs étaient blonds ou bruns ; j’ajournai tout projet de ce genre, et je m’occupai du choix d’une habitation où mon père serait chez