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personnes que j’avais entrevues sur le balcon faisaient un bruit formidable ; on était très-animé, on s’amusait beaucoup sans doute. On chanta des fragments de chœurs, des fragments de duos, des fragments d’airs, rien en somme. Les voix étaient fatiguées, les cerveaux semblaient divaguer. Était-ce l’ivresse du vin ou l’épuisement des nerfs ? Je cherchais à distinguer la voix d’Abel dans ce charivari, elle n’y était pas. Je respirai : il n’était plus là !

Tout à coup je l’aperçus juste au-dessous de moi. Il était dans l’ombre d’un massif de thuyas en caisse ; mais il se rapprocha un peu de la lumière, et je le reconnus. Il n’était pas seul, une femme qui me sembla très-parée, et dont l’énorme chevelure noire, fausse ou vraie, couvrait le dos jusqu’à la ceinture, avait un bras sur son épaule. Leurs têtes se touchaient, et pourtant il portait, quand même, son cigare à ses lèvres de temps en temps. Ils parlaient bas et riaient tout haut. Au bout d’un instant, ils rentrèrent par une porte-fenêtre non éclairée qui était derrière eux. — Était-ce bien Abel que je venais de voir ? Je n’avais pu saisir que les contours de sa tête brune ; il était trop immédiatement au-dessous de moi pour que j’eusse pu distinguer ses traits, fussent-ils éclairés. Je n’avais même pas entendu le son de ses paroles ; mais la fraîcheur et la pureté de son rire, m’était-il possible de m’y tromper ?