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prend la vanité féminine pour s’enivrer de douces louanges et se croire nécessaire au bonheur d’un autre. Il me paraissait démontré que l’amour était un violent et implacable égoïsme. Si j’eusse aimé Abel comme j’aimais Sarah, mon père et ma sœur, c’est-à-dire pour lui, non pour moi, je me fusse réjouie de savoir cet homme d’action aux prises avec les éléments d’action énergique qu’il avait toujours cherchés, et qu’il savait vaincre d’une victoire qui le rendait heureux. Il s’était plaint pourtant, il avait eu un moment de lassitude où il m’avait invoquée comme un refuge, et j’avais été assez folle pour vouloir me dévouer à lui, qui n’avait réellement que faire de moi. Certes, il n’avait pas songé à me tromper, il m’estimait ; mais il s’était trompé lui-même : la vérité vraie exprimée par lui, c’est lorsqu’il avait dit que l’artiste doit arriver à l’exubérance de ses forces et mourir jeune.

Il voulait donc mourir, ou tout au moins ne pas se soucier de vivre, et, si j’avais eu l’autorité de combattre ce suicide, je l’aurais probablement hâté. Je n’avais d’autre capacité, d’autre rôle dans la vie que celui de petite tante, autrement dit de bonne d’enfants, et je voulais prendre un aigle en sevrage, je voulais enfermer le génie dans un berceau et l’endormir avec mes chansons de nourrice !

J’avais été folle, et pis que folle, sotte ! Je devais me dire cela, rougir un peu et n’y plus songer, guérir. Pourquoi donc cette blessure, qui ne devait