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divine. D’abord je souffrais trop, et j’osais me persuader que cela était injuste. Quel mal avais-je fait pour mériter un châtiment ? Ne m’étais-je pas toujours sacrifiée ? avais-je vécu un seul jour pour moi-même ? À vingt-trois ans, je ne m’étais pas encore permis de me regarder dans un miroir avec complaisance, et, quand j’entendais dire que j’étais jolie, je me disais intérieurement : « Qu’est-ce que cela fait ? » J’étais décidée à ne prendre soin de ma personne que pour offrir un aspect agréable à ma petite Sarah et à mon père bien-aimé. J’avais renoncé à plaire avant d’en avoir connu le besoin, j’avais oublié que ce pût être un droit ; je m’étais effacée, amoindrie à dessein, anéantie dans l’amour de la famille. À quoi tout cela m’avait-il servi ? Un étranger avait passé dans ma vie comme les oiseaux émigrants passent sur nos montagnes, pour s’arrêter un instant quand ils sont trop las, boire au rivage du fleuve et repartir dans l’immensité du ciel… Et cet oiseau de passage, comme l’avait nommé la railleuse Adda, avait emporté mon âme dans son vol superbe ; mais il l’avait laissé tomber, il l’avait oubliée et perdue dans sa route… C’était à elle de retrouver le chemin de son pays, de sa maison, de son bonheur. Il n’était pas chargé de la ramener, puisqu’elle s’était trouvée sans ailes pour le suivre. Alors, je me reprochais cette explosion subite de la personnalité qui s’appelle l’amour. Je me demandais si ce n’était pas un pompeux déguisement que