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Il brava cette loyauté qui l’épargnait ; on eût dit qu’il voulait forcer Abel à répondre par quelque allusion qui eût amené entre eux une querelle.

Après le dîner, ce fut pire. Abel répondait avec esprit et malice aux dédains que mon beau-frère affichait pour l’art et ceux qui en vivent :

— Voyons, mon cher, dit Rémonville, qui me regardait ostensiblement à chaque attaque dirigée contre les musiciens, — vous n’allez pas me soutenir que c’est un état social de courir le monde à la recherche d’un public, comme vous êtes forcé de le faire ! On prétend que vous gagnez beaucoup d’argent ; mais le monde est divisé en deux catégories : ceux qui savent gagner l’argent et ceux qui savent le dépenser, et il est de tradition, depuis que le monde existe, que la seconde catégorie a toujours dominé la première, par la raison très-simple que, sans les oisifs riches, les travailleurs pauvres resteraient sans ouvrage. Vous nous exploitez, mes beaux messieurs, et vous faites fort bien ; vous nous faites payer plus ou moins cher vos chansons sublimes ou gaillardes. C’est votre droit ; mais, le jour où il nous plairait de vous dire que nous ne voulons plus de chansons d’aucune sorte, vous ne pourriez plus vous vanter d’être des artistes indépendants ; vous trouveriez que vous l’êtes beaucoup trop, et vous vous hâteriez de nous offrir vos grands talents au rabais. Quant à moi, mon cher Abel, si j’étais à votre place, c’est-a-dire si,