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son pardessus, lui versa de l’eau froide sur les mains, et le poussa essoufflé et tout brûlant sur la scène. Il joua admirablement et fut rappelé trois fois. Il voulait partir pour Givet après le concert. Il fut littéralement enlevé par les officiers de la garnison, qui le forcèrent de dîner avec eux. Mon père ne put le rejoindre dans la foule et revint avec Adda me retrouver pour me raconter ce triomphe. Ils ne se doutaient pas de mon entrevue avec l’artiste. et, chose étrange, personne ne parut s’en douter dans le pays.

Le soir, à dîner, mon père fit compliment à Adda de sa conversion.

— Croiriez-vous, me dit-il, que, pour la première fois de sa vie, elle a admiré, applaudi ?

— Dites à ma sœur, répondit Adda, que, la première, j’ai jeté mon bouquet à M. Abel, N’attribuez pourtant pas cet acte de déférence à l’enthousiasme. Je voyais toutes ces provinciales embarrassées des fleurs qu’elles avaient apportées pour lui, aucune n’osant jeter son offrande la première. Elles eussent été capables de les remporter. C’eût été mortifiant pour cet enfant gâté du beau sexe. Je lui devais une gracieuseté pour le plaisir qu’il nous a donné ; j’ai pris l’initiative, et je l’ai prise avec une certaine désinvolture, convenez-en, papa ?

— Oui, dit mon père en riant, vous aviez l’air de dire à toutes ces pauvres dames de province : « Voilà comment on fait à Paris ! »