seigneur. Je crois même qu’il ne se souvient pas de ses largesses et qu’il se persuade que j’ai payé mon violoncelle. Si vous saviez avec quelle grâce il me l’a donné ! Sachant ce précieux instrument en vente et l’ayant essayé plusieurs fois, je ne me permettais pas d’en avoir envie.
» — C’est cet instrument-là qu’il te faudrait pour être heureux ! me dit-il.
» — Il n’y faut pas songer, lui répondis-je, un pareil trésor est la vie d’un artiste ; je n’y songe pas. Je suis trop jeune ; ce serait la récompense qu’on se permettrait de se donner à soi-même après trente ans de travail et de succès.
» Le lendemain, il m’apportait le violoncelle.
» — Tu dis qu’il faut trente ans de travail pour mériter ce trésor, me dit-il ; ils sont devant toi : dans trente ans, tu payeras si tu peux ; je te fais crédit.
» L’année suivante, il parcourait l’Amérique et gagnait de quoi payer le violoncelle, car on le lui avait livré sur parole, tant sa parole est réputée sacrée et inviolable.
— C’est charmant, ce que vous nous racontez, reprit Adda d’un ton d’incrédulité persifleuse ; il faut que, pour être si magnifique, votre ami gagne des sommes folles, car on assure, quoi que vous en disiez, qu’il ne se refuse rien à lui-même. Il est possible qu’il n’ait pas le goût des villas et des équipages ; il n’en a pas besoin, hébergé et trans-