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j’aie pour vous une amitié à toute épreuve. Je n’y ai plus aucun mérite. Supportez avec courage le coup qui vous frappe et songez sérieusement à vous marier. Je vous jure que votre femme sera ma sœur et mon amie, je pourrai bientôt dire ma fille, car me voilà mûre. Ma vie a été si sérieuse, que je me sens maternelle pour tous ceux que j’aime.

» Je fus encore une fois bien tenté dans ce moment-là de lui dire que je l’adorais, qu’elle était et serait toujours jeune et belle pour moi ; la crainte delà troubler et de la forcer à se préserver de moi m’arrêta ; son amitié, qu’elle m’avait si pleinement et si loyalement rendue, avait acquis de jour en jour un prix inestimable dans ma vie. Elle y avait pris une telle place, que l’idée de la perdre ou de la refroidir m’a toujours fait trembler.

» À présent, le temps de l’espérance est passé. Je sais que l’amour ne parlera point au cœur de Célie ; que ses sens, s’ils se sont jamais éveillés, ont été condamnés au silence par une volonté exceptionnelle ; que toute sa vie a été sans défaillance, sans l’ombre d’une tache, enfin que personne n’a été et ne sera plus heureux que moi. C’est le secret de mon courage et le mot de ma résignation sans amertume. C’est ma consolation secrète et le lien de notre inaltérable amitié. Est-ce cela que Célie m’avait promis comme la plus grande preuve possible de reconnaissance et de dévouement ? M’avait-elle juré dans son cœur de n’appartenir à aucun autre, afin de ménager ma fierté et de fermer doucement ma plaie ? Il y aurait de la fatuité à le croire aveuglément, et la raison me dit que ces vœux-là se font pour un amant qu’on perd, non pour un ami qu’on refuse ; mais le fait