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donner aucune explication, sans paraître même avoir aucun projet arrêté. Je voulus voir le médecin.

» — J’ai ordonné cela, me dit-il, et je crois que j’ai bien fait. Elle ne pleurait pas, elle n’était ni faible ni brisée. J’ai craint l’exaltation, la folie. J’ai prescrit le changement d’air, le mouvement, la distraction forcée. Bellac m’écrit qu’elle est déjà un peu mieux. Ils partent pour l’Italie ; de là, ils iront en Suisse, ils parcourront l’Allemagne. Si l’on m’en croit, on ne la ramènera pas ici avant deux ou trois ans.

» Tout était consommé ! Célie était partie en me laissant sa bénédiction et je ne sais quelle mystérieuse promesse, mais je ne pouvais pas la consoler. Loin de là : il fallait, pour la guérir, la préserver de ma vue et de mon approche. Je me sentis écrasé. Je résolus de guérir moi-même à tout prix. J’allai vivre à Paris, et je me lançai dans la vie de plaisir.

» Voilà qui est bien prosaïque, n’est-ce pas ? Un artiste, un poëte, eût couru après la femme aimée. Il ne se fût pas laissé enlever sa proie par un vieux savant et par deux vieux domestiques sur le conseil d’un vieux médecin. Il se fût dit qu’au milieu de toute cette vieillesse, l’enfant brisée allait s’ennuyer profondément, se calmer sans doute, mais saisir avec avidité le retour à la vie, sous la forme d’un jeune cœur brûlant d’amour pour elle. Il eût fallu s’attacher à ses pas, se faire pressentir avec délicatesse, apparaître avec art à travers quelque habile mise en scène. Je fis vingt romans superbes ; ma mère, qui mettait beaucoup d’amour-propre dans cette affaire, se moqua de moi, et me retint par la crainte du ridicule. Un homme de mon rang et de mon mérite ne devait pas se jeter dans ces sottes aventures. Je