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canne. Je lui en voulais tant, que je l’accusai en moi-même de faire l’intéressant et d’exploiter sa courte maladie pour inquiéter ou attendrir mademoiselle Merquem ; je n’étais pas tout à fait injuste, car, en me voyant, il eut peur de paraître vieux et cassé, et se mit à marcher avec autant d’aplomb que moi-même. J’affectais, de mon côté, une fermeté d’âme que j’étais loin de posséder, et nous nous mîmes à causer tous ensemble comme des gens qu’aucun souci ne ronge ; mais Célie ne s’y trompait pas : son regard pénétrait dans mon âme avec une expression de crainte et de pitié déchirante.

Stéphen et Bellac faisaient de grands efforts pour soulever le manteau de glace qui nous enveloppait. On s’arrêta dans une petite ferme où Montroger prit fantaisie de boire du cidre et de nous en offrir. Ce cidre normand, délicieux quand il n’est pas détestable, moussait et pétillait comme du vin de Champagne. Stéphen ne l’aimait pas à cet état fumeux ; moi, je le redoutais ; mais Montroger le buvait comme de l’eau et s’y fiait absolument. Il avait grand’soif, il en avala un cruchon presque d’un trait, et tout aussitôt sa langue se délia, il devint expansif et enjoué. Bellac, qui l’observait, me dit tout bas qu’un peu d’excitation ne pouvait lui faire que du bien, et nous poussâmes notre promenade jusqu’à un sentier qui côtoyait le haut de la falaise pour redescendre vers Yport.

— Ah çà ! s’écria tout à coup Montroger à brûle-pourpoint, avant de rentrer au gîte, résumons-nous et décidons quelque chose ! Je me sens tout à fait guéri. Jamais je ne me suis mieux porté. Je ne vois donc pas pourquoi nous ne retournerions pas ce soir