Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/241

Cette page n’a pas encore été corrigée

Je me mis à l’observer pour savoir par quel bout je l’entamerais. Mes accès d’humeur ne l’avaient pas irrité contre moi : il reconnaissait à tout le monde le droit d’être maussade, comme celui d’avoir mal aux dents ; mais je m’aperçus d’un fait certain, c’est que ma tristesse l’avait rendu plus triste. Je respectais beaucoup son travail égoïste et solitaire, je reconnus que c’était de ma part un égoïsme égal au sien. Je craignais de m’ennuyer près de lui. Je me condamnai à l’accompagner et à lui tenir compagnie. Il en fut étonné d’abord, mais, à ma grande surprise, il en fut touché. Je fis bientôt une autre découverte. Il y avait, pour me servir de son expression favorite, de la pose dans son amour pour la solitude ; c’était une affectation dont le motif était plus respectable que puéril. Il était fier et d’une discrétion farouche. Il craignait d’ennuyer les autres et ne voulait jamais leur paraître ennuyé, ce qui eût été une manière d’implorer le sacrifice de leur indépendance et de leur temps. En somme, il travaillait de rage, non pour obéir à l’inspiration, qu’il n’attendait jamais, mais pour tuer le temps, qui l’accablait. Je le vis d’abord un peu troublé et comme confus de l’intérêt que je semblais donner et que je commençais réellement à prendre à ses études ; puis il chercha à s’imaginer quel attrait pouvait m’inspirer sa compagnie, sur le charme de laquelle il ne se faisait aucune illusion. Il crut que j’avais besoin d’une expansion quelconque, et il dérogea tout à coup à ses habitudes d’insouciance pratique en me questionnant.

— Voyons ! dit-il, vous auriez du plaisir à me parler de vous, et vous n’osez pas, parce que je vous ai conseillé de ne pas le faire ? Vous croyez que ça m’en-