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la posséder. Je me dois à toutes celles qui m’invoquent ; mon pâle et inoffensif bonheur consiste à n’être paralysée par aucune.

» Je n’ai donc ni les vices ni les vertus des grandes organisations, et je ne me fais pas d’illusions sur mon impuissance relative. Pourquoi essayer de me changer ? Vous voulez que j’aspire à un bonheur que j’ignore. En quoi l’ai-je mérité, moi qui n’en sentirais peut-être pas le prix ? Et où prenez-vous que je saurais le donner ? À l’état de neige pure, je suis quelque chose ; que serais-je à l’état de neige fondue ? Un torrent troublé peut-être ! Non, vrai, chère et digne amie, je ne m’ennuie pas de moi telle que je suis, je n’ai pas besoin d’aimer. Le temps a fait son œuvre sans que je m’en sois aperçue. L’oreiller de la chasteté est si doux et si sain, que mon existence s’est immobilisée sans secousse ; mais, ne nous y trompons pas, c’est bien une espèce de pétrification intérieure, et il n’y a pas de quoi se vanter. Il n’y a pas lieu non plus de se plaindre ; on doit accepter les faits accomplis. Dieu lui-même les consacre. »


DEUXIÈME LETTRE.

« Vous exigez que je vous écrive encore sur ce sujet ; ai-je raison de vous obéir ? Jusqu’ici, j’ai laissé couler ma vie comme une petite source, claire et paresseuse. J’ai reflété plus que je n’ai recueilli. Est-il bon de se regarder vivre et de s’écouter penser ? Il faudrait peut-être réserver cela pour les moments de crise. Vous allez me faire croire que j’arrive à un de ces moments ; vous essayez même de me persuader que j’ai dérangé à mon insu quelque chose dans une