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— Célie le voit en noir, disait-elle. Je comprends cela, elle a trop souffert autrefois à cause de lui ; mais le voilà calmé par l’âge. D’ailleurs, eût-il beaucoup de défauts, je le préférerais encore pour ma fille à ce jeune homme qui sort de la finance, un milieu bien positif, et qui appartient à la génération des éreintés modernes. Je lui trouve trop d’esprit, je crains qu’il n’aime pas. Montroger a fait ses preuves. Il a aimé en égoïste, je l’avoue, mais c’est toujours une manière d’aimer : tout est préférable au néant. J’aiderai donc de mon mieux cette bonne chance, si elle se présente. J’aurais eu grand besoin de tes conseils et de nos entretiens du soir ; mais Célie a peur pour toi, et cela me gagne. Va-t’en vite et prends patience. Tu es loyalement aimé, je t’en réponds.

— Cruelle tante ! vous saviez mon bonheur et vous me le cachiez !

— Et vous, monsieur mon neveu, m’aviez-vous confié votre amour ?

— Vous le deviniez bien.

— Je le voyais et j’étais remplie d’espoir, car celui de Célie était un peu mon ouvrage. Sans moi, il lui eût fallu des années pour savoir qui tu es. Grâce à moi, elle te connaissait comme moi-même avant ton arrivée. Elle n’avait plus qu’à te voir, et ta figure a été comme la signature de ton portrait. Tiens ! je vais te confier un trésor, ce sont des lettres qu’elle m’a écrites depuis qu’elle te connaît. Jure-moi de ne les lire qu’à Yport. Elles te donneront le courage d’attendre, elles te feront sentir qu’on peut souffrir et languir quelque temps sans se plaindre quand c’est pour l’amour d’une femme si parfaite.

Je partis à l’entrée de la nuit, seul et à pied, à l’insu