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et que j’ai eu vingt fois l’occasion de me dire : « Il se mariera, et alors je songerai à moi. Je n’y veux songer que quand le moment viendra. Puisqu’en attendant j’ai beaucoup d’éléments de bonheur, je saurai en profiter et ne pas être ingrate envers tant de braves cœurs qui m’aiment et me font une atmosphère tiède et saine où mon âme ne se sent pas dépérir. Je suis une grande plante de la Neustrie. L’ombre de beaucoup d’arbres m’est salutaire, et nos grands hâles de la plaine m’eussent tuée. Restons dans la vallée, où les fleurs sauvages se développent sans tempête et sans soleil. » Voilà où j’en étais quand votre tante, après m’avoir beaucoup parlé de vous, vous a présenté à moi. Vous m’avez trouvée gaie, et vous en avez paru très-étonné ; l’êtes-vous encore ?

— Non, votre gaieté est une sainteté que je comprends ; mais ne vous interrompez pas. Vous en êtes venue à me permettre de vous adorer ; ne voulez-vous pas me dire comment j’ai su vaincre cet effroi que vous aviez de toute expansion et de toute curiosité trop vive ?

— Vous ne l’avez pas vaincu. Tenez, j’ai la figure calme par habitude, mais j’ai un tremblement de fièvre en vous parlant, et, en même temps que mes mains brûlent, je sens mes épaules glacées. Que voulez-vous ! j’ignore les grandes émotions, j’ignore l’amour, j’ignore tout. Et puis je ne me crois pas le droit de vous répondre avant que nous ayons vidé la grande question. Voyons ! Supposez que je vous aime, que je ne sois pas effrayée de votre jeunesse et que je partage la confiance absolue que votre tante a en vous. Supposez encore que, conformément aux lois delà franchise et de la délicatesse, je m’en explique avec Montroger : n’êtes-vous pas déjà révolté à