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de province, depuis qu’elle copie servilement les airs de Paris, a l’esprit et le cœur fermés à l’idéal, et vouloir la ramener serait inutile, puisqu’on y paraîtrait ridicule en l’essayant. Je pensai que l’exemple d’une bonne vie, retirée, occupée sérieusement, doucement heureuse, serait au moins un spectacle qui ferait réfléchir quelques jeunes têtes. J’ai tâché de faire aimer le vrai en moi : je n’ai pas fait beaucoup de conversions. Tout au plus ai-je retardé ou ajourné quelques-unes de ces perditions fatales qu’il faut voir avec plus de chagrin que d’indignation. Le courant du siècle est si fort !

» Avec tous ces devoirs résolument acceptés, il m’est resté pour l’étude un temps assez court et très-souvent interrompu. De là une soif toujours inassouvie qui m’a été très-bonne, je le déclare. Ces heures de fatigue physique et d’isolement forcé par ma position de fille charitable et honnête eussent pu être troublées par les dangereuses rêveries de l’ennui. L’impatience de reprendre une recherche laissée en train, la saine joie de m’y replonger et peut-être aussi cet attrait de curiosité qui tourmente la femme, sauf à l’égarer quand elle l’applique mal, voilà ce qui m’a conservée tranquille et bien portante d’esprit et de corps dans la solitude.

» Un seul drame intime a traversé ma vie et s’y est comme incrusté avec obstination, c’est l’amour de Montroger. Cet excellent ami a été réellement, par son manque de jugement, l’ennemi de mon repos. Il vous a tout raconté, vous savez donc que le dépit le jeta quelque temps dans le vice, et que sa mère vint me demander de l’en retirer à tout prix. Je m’attelai à ce devoir, mais ce ne fut pas sans y laisser ma liberté. Son amour-propre était tellement engagé dans la