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le préjugé n’accorde pas le droit de s’absorber dans l’étude, et à qui, d’ailleurs, l’état des choses sociales, le vœu de la nature aussi sans doute, créent dès sa jeunesse des devoirs et des sujétions. C’est en vain qu’elle se soustrait au mariage et se dispense de se créer une famille. Tout est famille pour elle quand même. La femme est née pour être mère. Un instinct, qui est en même temps pour elle une conscience, lui commande l’adoption, c’est-à-dire toutes les sollicitudes du cœur pour l’ignorance ou la faiblesse. Si le monde et le plaisir détruisent cet instinct sacré, je l’ignore ; mais la recherche du vrai dans les hautes régions de la pensée est une chose normale et sainte, qui élève le sens humain sans le dénaturer. Ma première découverte, en rentrant dans mon pays et dans ma maison, fut donc le sentiment des nombreux devoirs que me créaient ma richesse et ma liberté. Je n’avais pas l’excuse des préoccupations de la famille personnelle. Plus je m’appartenais, plus il m’était enjoint de me répandre. Mon grand-père, pendant une dizaine d’années de bonne santé passées dans la retraite, avait fait beaucoup de bien. Sa bonté était adorable, et de grands instincts lui versaient des lumières suffisantes. Il avait formé la petite colonie de la Canielle, recrutée parmi des hommes d’élite mutilés par la guerre et rendus à leurs foyers. Dans les loisirs de sa vieillesse, il avait encore travaillé à élever leur niveau intellectuel et il y avait réussi ; mais, depuis sa maladie et durant mon absence, plusieurs des beaux vieillards ses contemporains étaient morts, et la génération suivante tendait à redescendre. Il était temps de s’en occuper. Les enfants et petits-enfants que mon grand-père avait bénis devenaient