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nous appelons le monde devenait pour moi comme s’il n’eût jamais été : la création était désormais mon milieu. J’avais vécu sur la mer avec mon grand-père, il m’avait appris à l’aimer et à la comprendre ; mais il avait oublié de me faire connaître la terre, et c’était pour moi comme une découverte. Bellac est clair et intéressant ; quand il n’est pas intimidé, il parle avec une réelle éloquence. Il ne se doute pas qu’il touche à la poésie, mais il manie avec aisance, vous avez dû vous en apercevoir quelquefois, cette langue des savants français, qui est si nette, si ferme, si étendue et si ingénieuse chez ceux qui ont pu allier la rectitude à l’enthousiasme. Mon âme s’élevait chaque jour et se détachait de ces préoccupations puériles. Au bout d’un an, je me rendis compte d’une transformation extraordinaire de mon être. Je ne sentais plus, si je peux ainsi parler, le fardeau de ma personnalité, et je n’étais plus l’esclave de mon sexe. Personne ne me disait plus :

« — Souvenez-vous que vous êtes femme et que votre affaire en ce monde est d’appartenir à quelqu’un. Songez-y, cherchez, trouvez, vous êtes libre, pourvu que vous sachiez faire un choix qui soit agréable et commode à votre entourage. Abstenez-vous d’avoir un idéal ou seulement un goût, une préférence. La femme n’est rien, une jeune fille sage n’a pas d’idées préconçues. Elle se tient prête à subir le degré de capacité de son futur maître, et, en attendant, elle se conserve à l’état de table rase. Son âme est un sable léger sur lequel elle fera bien de passer le râteau tous les matins, afin que son futur époux n’y trouve pas la plus légère trace et y écrive tout ce qui lui plaira, si toutefois il sait écrire quelque chose.