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appris à ses élèves à observer. La conversation était donc réellement agréable et même substantielle. La personne la moins grave, ce soir-là, ce fut Célie. Elle babillait avec les femmes et riait de leurs histoires, elle jouait avec les enfants ; je retrouvais en elle ce trésor de gaieté que j’avais pris chez elle pour un besoin passager d’excitation, et qui était le fond de son caractère. Elle était plus jeune, à trente ans, que toutes les jeunes filles dont je l’avais vue entourée, plus jeune à coup sûr que ma cousine Erneste, car elle ne se préoccupait d’aucune ambition et d’aucune coquetterie. Elle semblait vivre au jour le jour, et ne s’être pas encore demandé ce qu’elle ferait de l’avenir : étonnante insouciance qui engendrait une bonhomie incomparable !

Quand on apporta l’eau-de-vie, elle m’en versa elle-même en me disant que c’était le lait du marin ; mais elle n’y goûta pas. Il y avait en elle une vitalité solide qui n’avait pas plus besoin d’eau-de-feu que de fadeurs. Elle alluma elle-même la pipe du père Guillaume pour l’obliger à s’en servir devant elle ; mais, sans être incommodée par le tabac, elle ne l’aimait pas, et se retira sous la cheminée, disant qu’elle avait froid aux pieds.

Je jetai le cigare qu’elle m’avait forcé de prendre, et je m’approchai d’elle sans me permettre de m’asseoir, quoiqu’il y eût là une chaise bien tentante. J’avais le cœur plein de joie et de reconnaissance ; mais je me sentais devenir plus timide à mesure que sa confiance augmentait. Je comprenais enfin qu’après l’avoir perdue, il n’y avait plus à espérer de la reconquérir. Elle était si pleine et si belle, cette confiance, et elle tombait sur vous de si haut !