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et espérons ; les dix-sept ans d’Erneste n’ont pas dit leur dernier mot. Et puis l’homme qui joindrait le mérite à une position brillante n’est pas impossible à rencontrer. Cherchons-le, ce rara avis, au lieu de songer à me faire trouver la femme de mes rêves.

— Comment est-elle, la femme de tes rêves ? Ne peut-on le savoir, ne fût-ce que pour se distraire un peu des idées sombres ?

— Oh ! alors… je voudrais vous tracer un portrait aimable et charmant… Vous, par exemple.

— Avec trente ans de moins, j’imagine ? Eh bien, tu ne sais ce que tu dis : à vingt ans, je ne valais pas ce que je vaux. Je n’avais pas souffert, et, comme il vous faut des âmes toutes neuves, à vous autres, comme vous voulez faire verser la première larme, vous serez toujours condamnés à épouser l’inconnu ; car le chagrin rend très-bon ou très-mauvais, on ne sait le résultat que quand il n’est plus temps d’y rien changer.

Ma cousine Erneste était la plus jolie fille qu’on pût voir, très-spirituelle, très-aimable et très-bonne, et avec tout cela elle faisait le désespoir de sa mère et le tourment de sa maison : elle s’ennuyait !

Il n’y a guère de milieu aujourd’hui pour les jeunes filles : être très-instruites, très-studieuses, très-intelligentes, ou se trouver très-malheureuses quand leurs parents ne peuvent pas ou ne veulent pas les exhiber perpétuellement. Ma tante, qui n’avait qu’une médiocre fortune, avait tout fait pour empêcher sa fille unique de partager les ivresses de la vie élégante. Elle avait rêvé, comme toutes les mères raisonnables, d’en faire une bonne petite femme bien sage, bien modeste et bien douce ; mais, comme toutes les mères raisonnables, elle avait échoué devant la folie du siècle.