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peut-être, mais elles affecteront d’être inséparables, en attendant qu’elles se trompent. Célie ne remarque pas tout cela, elle n’y comprendrait goutte. Ah ! voilà une âme droite et simple ! Aussi je ne peux lui dire toutes mes inquiétudes, et je les refoule sous un air de bonne femme bien gaie ; mais je suis sur les épines, et, puisque tu me dis tes remarques, je te confie les miennes. Quel est ton avis à présent ?

— Mon avis est que vous ne devez vous mêler de rien et qu’Erneste ne doit pas se douter que nous l’observons. Observons-la d’autant plus pour bien savoir où nous la conduisons, mais attendons-nous peut-être à nous voir forcés de la suivre. Ce jeune monde, comme vous l’appelez, chère tante, n’est pas celui que vous avez traversé. Il n’y a plus de timidité parce qu’il n’y a plus de passion, vous le jugez fort bien ; plus d’incertitude du cœur, puisque le cœur n’est pour rien dans la partie ; plus d’épanchement filial, on n’a rien à confier à sa mère : elle ne vous comprendrait pas, elle vous parlerait une langue morte. Tourmentée de la recherche de votre bonheur, elle verrait moins clair que vous sur la poursuite de la richesse et du plaisir. Ah ! ces enfants sont plus fortes que leurs parents ; elles savent mieux ce qui leur convient, à elles ; laissez-les donc faire, vous ne pouvez que déranger leurs calculs en les discutant et faire échouer leurs entreprises en les effrayant du péril qu’elles bravent.

— Mais c’est affreux, ce que tu me dis là ! tu m’ôtes mes dernières illusions ! Nous tournons au mariage américain ; bientôt on jouera l’amour conjugal à pile ou face ! Comment ! je ne pourrai pas donner mon cœur de cinquante ans à ma fille, qui en a dix-sept !