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moi après un moment de rêverie me rendit le courage. Elle interrogeait ma sincérité. Elle avait pesé mes paroles, elle en était frappée ; elles lui avaient probablement déplu, mais elles n’avaient point passé inaperçues.

— Vous vous moquez de moi, répondit-elle enfin avec un peu de trouble et de tristesse. Les gens de la Canielle ne m’ont jamais dit : « Je vous aime, » encore moins : « Je vous adore. » Ils ne sauraient pas le dire, et, le jour où ils le sauraient, je ne croirais plus à leur amitié.

— Permettez-moi de vous répondre que, s’il en est ainsi, vous ne les aimez pas du tout. Vous acceptez leur attachement instinctif comme vous acceptez celui de vos cygnes, qui accourent à vous pour avoir du pain. Si vos cygnes pouvaient parler, vous leur feriez tordre le cou ?

— Non, car, s’ils parlaient, ce serait pour dire seulement : « Fais-nous manger ; » mais je ne compare pas nos mariniers à des animaux. Ce sont de vrais hommes, des hommes d’élite, qui plus est, des héros de courage et de dévouement. Je les estime au point que je pourrais dire aussi, moi : « Je les aime, je les adore ; » mais je ne leur dis rien de semblable. Ceci n’est pas de leur vocabulaire et donnerait lieu à d’étranges méprises. Les gens simples et droits n’ont pas de mots passionnés à leur service. Ils prouvent l’attachement, ils pratiquent l’amitié, et, comme des sauvages sublimes, ils méprisent les protestations.

— Ils ont raison, car le mot protestation signifie exagération. Daignez encore me regarder en face, mademoiselle Merquem. Croyez-vous que je mente en vous disant que je vous vénère ?