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dessein, vous vous méconnaissez naïvement. Eh bien, je ne vous en aime que mieux, et, s’il faut aller jusqu’au fond de la vérité, je vous adore. Cela vous est bien égal, je le sais ; vous êtes blasée sur l’affection et sur l’admiration que vous inspirez. Vous vivez dans une région si haute et si pure, que les mots dont on se sert ne peuvent ni vous étonner ni vous inquiéter. Vous êtes probablement la seule femme jeune et belle à qui on puisse dire sans hésiter et avec la certitude de ne pas déranger sa tranquillité : « Je vous aime avec enthousiasme. » Vous avez beau faire, vous savez que cela vous est dû et que, pour ne pas vous rendre un culte, il faudrait être une brute misérable. Laissez-vous donc adorer de moi, comme vous êtes adorée des mariniers de la Canielle. Ce sera un ami et un serviteur de plus, voilà tout.

La vérité était venue sur mes lèvres sans préméditation et même en dépit de la réserve préméditée. Je ne songeais pas non plus à saisir l’occasion de risquer le tout pour le tout. Je crois que j’aurais parlé de même à Célie devant Montroger, devant ma tante, devant tout le monde. Je ne m’étais pas interdit le genre de sincérité qui me poussait en ce moment, et dont elle ne pouvait pas s’offenser. Seulement, je ne croyais pas qu’elle me laisserait aller jusqu’au bout sans m’interrompre par quelque plaisanterie qui rendrait mon effusion impossible ou ridicule. En voyant qu’elle m’écoutait avec étonnement et que sa physionomie devenait sérieuse, je me sentis effrayé tout à coup. Mon trouble m’avait-il trahi ? Derrière le désintéressement dans lequel s’abîmait mon audace, sentait-elle le tumulte d’une secrète et tremblante espérance ? Le regard pénétrant qu’elle attacha sur