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bravait sans mérite, disait-elle, quand il s’abaissait de porter secours aux gens de l’endroit ou aux étrangers poussés sur la côte. Là, elle s’employait d’une façon magistrale. Tout enfant, le gouvernail et le commandement du canot lui avaient été confiés. Elle connaissait le rivage et le moindre récif sous-marin aussi bien que le plus vieux pêcheur de la Canielle. Sa petite embarcation, menée par l’élite de ses clients volontaires, faisait d’ailleurs ce qu’aucune de l’endroit ne pouvait tenter. C’était donc bien sérieusement qu’elle dirigeait et opérait en personne des sauvetages merveilleux. À cette capacité et à ces moyens matériels se joignait naturellement un prestige pour l’imagination de ces bons pécheurs. L’homme de mer est le plus superstitieux des mystiques. Pour être montée en barque un jour d’orage avec un chapeau à plumes noires, une femme de ma connaissance a failli être jetée à la mer par les matelots sur les côtes d’Italie. Selon eux, ces plumes noires avaient attiré la tempête. Le bonnet feutré de Célie, dont riait si agréablement mademoiselle de Malbois, était pour les mariniers de la Canielle un signe de salut, comme le panache blanc d’Henri IV pour ses aventuriers. Si elle eût bravé le flot sans le bonnet, tous l’eussent suppliée de rester ; mais, avec ou sans le bonnet, tous se fussent dévoués à périr pour elle. Elle était adorée, non pas de cet amour éclairé qui apprécie bien le dévouement et se rend compte de la valeur de la personne aimée, mais de cet attachement fidèle et toujours un peu égoïste qui est particulier au paysan. Célie était nécessaire à la Canielle comme la mer au pêcheur. C’est elle qui veillait à ce qu’il n’y eût pas un pauvre sans ressources, des bras valides sans tra-