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là, tout seul, dans ma petite chambre, avant de reprendre le cours de ma vie d’orage. J’ai besoin, avant tout, de te remercier pour le bien que tu m’as fait. Père, c’est la première fois que tu me révèles le fond de ta pensée. À te voir si doux, si modeste et si bon, même pour les méchants, je croyais ton âme inaccessible à l’indignation. Ta sérénité me faisait peur, je l’avoue ; je la regardais comme le résultat de cette noble et douloureuse lassitude, fruit du travail et de l’expérience. Je croyais que tes années de labeur et de vertu avaient creusé entre nous un abîme qui ne serait pas sitôt comblé ! Tu m’as traité comme un homme qu’on excite, et non comme un enfant qu’on apaise ; je t’en remercie, et je te jure que tu as bien fait. Ta tendresse a un peu hésité ;… tu me croyais encore trop jeune… Pauvre père, tu as tremblé en te laissant arracher le secret de ta force ; eh bien, ne crains plus, j’étais mûr pour cette initiation, elle me renouvelle, elle me baptise dans les eaux de la vie, elle me pousse en avant. Tu voulais d’abord m’emmener loin d’elle, me distraire, me faire voyager. — Et puis tu as compris que tout cela aigrirait mon mal au lieu de le guérir, et tu m’as tendu la coupe en me disant : « Bois ce fiel et triomphe. »

Sois tranquille, je saurai souffrir ; car, à présent, je vois un but sublime à ma souffrance. Conquérir celle que j’aime, la disputer à une mortelle influence, la sauver, l’emmener avec moi dans la sphère de l’amour vrai, la rendre digne de cette passion sacrée que j’ai pour elle, et me rendre digne moi-même de la lui inspirer ; résoudre le problème d’éclairer sa croyance en respectant sa liberté, d’épurer sa foi sans lui enlever les vraies bases de sa religion : oui, oui, je le tenterai, et, si j’échoue, du moins rien ne m’aura fait reculer ou défaillir.

Et ne crois pas que cette passion soit le seul stimulant