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Tout rentra dans le silence. La curiosité m’aiguillonnait ; il faut te dire pourquoi.

À vingt pas de la petite anse sablonneuse qui sert de débarcadère au hameau, la montagne verticale se creuse en grotte. Deux piliers bruts naturellement évidés dans le massif calcaire soutiennent une petite voûte où l’on a sculpté dans le roc une statuette de madone. C’est une chapelle rustique, dont le sol, un peu exhaussé au-dessus de l’eau, est à sec quand le lac est tranquille, et cette chapelle est une des retraites favorites de Lucie. Elle y a voué une dévotion particulière à la Vierge, elle y a fait planter du lierre qui s’enroule gracieusement autour des piliers, et elle y va souvent rêver ou prier le soir.

Je tenais ces détails du batelier, qui m’avait transporté le jour même. Était-elle là, mon Dieu ? Y avait-elle donné rendez-vous à cet inconnu ? Je ne pouvais rien voir, la grotte s’ouvre dans un angle centrant de la montagne. Ah ! tu ne sais pas que je suis horriblement jaloux ! Je ne le savais pas moi-même. Quelle torture, mon père ! quelle fureur !

Je demeurai quelques instants sans pouvoir réfléchir. J’étais sur le point de me jeter tout habillé à la nage, car de la rive on ne peut gagner autrement cette chapelle : le rocher plonge à pic dans de lac à une très-grande profondeur ; mais toute mon attention se reporta sur la barque, qui, après une pause de quelques minutes, revenait vers moi. Je me dissimulai encore, et je vis repasser les deux hommes à peu de distance. Je les suivis des yeux aussi loin que possible ; ils s’en allaient par où ils étaient venus, du côté qui regarde Chambéry, et bientôt ils se perdirent dans la brume qui commençait à se répandre au ras de l’eau.

Quel était donc le but de cette longue course sur le lac pour une station d’un instant ? Il n’y avait là que la