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un mouvement dont la fougue est plutôt joie que colère. Partout sur ces beaux rochers mouillés fleurit cette petite plante rose que tu aimes tant, l’érine alpestre, qui se tasse et se presse à la pierre, en lutte contre l’eau, avec la coquetterie des êtres délicats d’aspect qui ont l’organisation forte. J’étais en train d’examiner ces fleurettes à la loupe avec Henri, quand j’entendis arriver la voiture qui amenait mesdames Marsanne avec mademoiselle La Quintinie et son grand-père. Je ne crus pas devoir marquer trop d’empressement, et je laissai Henri se présenter le premier. Tout le monde connaissait la délicatesse de ma situation, car on s’arrangea de telle manière que je dusse offrir mon bras à Lucie, et très-peu d’instants après, bien qu’elle ne parût point songer à s’y prêter, nous fûmes seuls ensemble au bord d’un des méandres du torrent, séparés de nos compagnons par un groupe de rochers.

Nous étions trop près de la cascade pour échanger facilement des paroles suivies. L’érine alpestre me servit de prétexte pour nous en éloigner un peu et pour parler de toi. Lucie se montra dès lors toute disposée à m’entendre, et elle me fit sur ton compte mille questions charmantes. Elle connaît tes travaux, et elle en raisonne comme une femme de mérite qui n’a pas ou qui feint de ne pas avoir dans la mémoire la technologie des choses, mais qui en a parfaitement compris le but et suivi le développement. J’étais ravi de voir qu’elle n’était étrangère à rien de ce qui t’intéresse. Je le fus encore plus quand je découvris qu’elle connaissait toute ta vie de dévouement, de travail et de dignité. Elle voulut savoir ton âge, ta figure, tes goûts, tes habitudes, ta manière de travailler, de parler, de t’habiller, et, quand j’eus répondu à tout, elle me demanda si je te ressemblais.

Je ne te ressemble qu’à demi, et j’avouai humblement qu’avec mes vingt-quatre ans j’étais beaucoup moins