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seul mérite, je la tiens de toi, et je n’ai en moi rien de bon qui ne t’appartienne. À force de m’entendre répéter que je ne suis pas un garçon vulgaire, j’ai dû m’habituer à le croire ; mais je te jure que je n’ai pas ouvert la porte aux sottes vanités, que j’ai le respect enthousiaste des supériorités auxquelles je dois de n’être pas un esprit trop inférieur, et que tout mon orgueil est de comprendre le bien qui m’a été fait, le prix du beau et du vrai qui m’ont été donnés.

En me présentant de nouveau devant Lucie, j’étais donc digne, sinon de son estime, du moins de son attention. Je lui apportais une confiance sans bornes dans son caractère, et ce n’est pas là un sentiment d’infatuation personnelle. Je ne l’examinais pas, je ne me demandais pas si mon cœur et mon imagination la plaçaient trop haut : j’avais ce besoin d’adorer sans contrôle et de se donner sans réserve qui est à coup sûr le fait d’une réelle ingénuité d’esprit.

Ce fut à la cascade de Coux qu’eut lieu notre troisième rencontre. Cette chute d’eau, médiocre comme volume et comme hauteur, n’en est pas moins digne de l’engouement de Jean-Jacques. En fait de paysage, Rousseau était vraiment un grand artiste, et on peut, quand on est artiste aussi, le suivre avec confiance dans ses promenades. Il avait compris que le beau n’a pas besoin d’une grande mise en scène, et que l’effet des choses est dans l’harmonie. Rien de plus frais et de plus suave que l’arrangement naturel de cette cascatelle. La brisure de rochers d’où elle s’élance est proportionnée h son élévation, et les blocs où elle disparaît un instant, pour s’en échapper en plusieurs courants agités, sont jetés là dans un désordre en même temps hardi et gracieux. Il y a des entassements qui forment des arches moussues où l’eau tournoie et bouillonne avec des bruits charmants et