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moiselle La Quintinie entra. Je ne m’y attendais pas. Elle était venue par le lac, elle avait monté la côte à pied et s’était introduite sans fracas par le jardin ; elle avait laissé son chapeau sur un banc, elle se trouva assise au milieu de nous après avoir baisé le front blanc et luisant de son grand père, comme si, ayant assisté à la conversation, elle le remerciait de ce qu’il venait de dire. Je crois qu’elle avait effectivement surpris et deviné ses dernières paroles, car elle se tourna gaiement vers Henri en lui disant :

« Vous n’allez pas soutenir le contraire, monsieur Valmare ?

— Je n’avais pas la parole, répondit Henri en me désignant. Voici l’oracle consulté.

— Un oracle ! déjà ? s’écria Lucie avec son beau rire moqueur et caressant.

— Quand on est oracle à mon âge, lui répondis-je, on reste muet, ou l’on s’en tire par des énigmes.

— Ni l’un ni l’autre, reprit-elle, ou bien l’on n’est qu’un faux oracle, c’est-à-dire rien. Moi, je sais que vous êtes quelque chose, on nous l’a dit, et je crois de tout mon cœur que vous êtes quelqu’un. Il faut parler et dire de bonne foi tout ce que vous pensez. »

Il me sembla qu’elle me faisait subir à dessein un interrogatoire, que son grand-père s’y prêtait, qu’il avait amené cela, et qu’elle en tirerait parti avec adresse, tout en y mettant une apparence d’imprévu.

Pensait-on déjà que je me présentais, et que je m’offrais sans retour ? Henri avait-il déjà, dès ma première visite, trahi le secret de mon mutisme effaré ? Henri, si prudent pour lui-même dans la vie, était-il à ce point imprudent pour les autres ? Je me crus placé sur la sellette, et j’eus un mouvement de terreur et de dépit si prononcé, que je faillis m’enfuir sans dire un mot.