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père, jamais celle d’un juge. Combien elle m’était chère, cette noble et sereine enfant qui me révélait dans le sens le plus divin les joies de la paternité ! Comme j’étais fier d’elle devant Dieu ! comme je sentais la vaine fragilité, des liens de la chair et du sang, moi qui goûtais dans la plénitude d’une tendresse si pure tous les attendrissements du cœur et même le tressaillement sacré des entrailles ! J’étais forcé de lui cacher le lien mystérieux qui m’attachait à elle, et je devais m’interdire toute démonstration d’une sollicitude trop exclusive ; mais, lorsque du fond de la salle du couvent où il m’était permis d’aller me reposer de mes leçons, je la voyais assise à son pupitre près d’une fenêtre de la classe, grave, attentive et belle comme la sagesse, ou folâtrant dans le jardin avec l’énergie de sa vaillante nature, je versais des larmes involontaires, et j’étouffais entre mes lèvres ce cri de mon cœur ; « Ma fille ! ô ma fille ! »

Quand elle eut seize ans, son grand-père la rappela près de lui. Ce fut pour moi un déchirement atroce ; mais Lucie ne devait pas s’en douter : elle ne s’en douta pas.

Seulement, il me fut impossible d’habiter Paris quand elle fut partie. Je ne pouvais plus reprendre à rien. Sans cesser d’être un chrétien, j’étais devenu, sous le charme de cet amour de père, plus homme qu’il ne fallait. Je me rappelai que j’étais prêtre, ma tâche d’homme était accomplie ; j’avais tenu le serment fait à Blanche, j’avais initié sa fille, et je croyais être sûr qu’elle serait religieuse, ou qu’elle épouserait un vrai catholique. Il ne s’agissait plus que de veiller de loin sur elle, puisqu’il m’était interdit de veiller de près. D’ailleurs, il valait mieux peut-être qu’il en fût ainsi. En cessant d’être une enfant, Lucie ne devait pas ressentir mon influence trop directe. Si elle se vouait à Dieu seul, elle était de ces