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mois qu’elle avait voulu nourrir, et que, par ordre du médecin, il lui fallait confier à une nourrice. Cette enfant, c’était Lucie.

Dès que la pauvre femme me vit, elle s’apaisa, remit avec douceur aux bras de la nourrice l’enfant, qui criait, instinctivement effrayée des transports de sa mère. Blanche renvoya tout le monde, et, quand nous fûmes seuls :

« Ni épouse ni mère ! dit-elle en fixant sur moi ses yeux sombres, redevenus secs ; voilà votre ouvrage, à vous ! Vous m’avez défendu d’aimer alors que j’aurais pu céder à mon premier instinct, et me contenter, comme tant d’autres, de l’amour vulgaire d’un homme et de ses embrassements grossiers. J’aurais pu être heureuse ainsi, n’aspirant pas à des félicités idéales, ne les connaissant pas, vivant d’une grosse vie matérielle employée à mettre des enfants au monde, à les allaiter et à m’oublier moi-même dans les devoirs de la famille. Vous n’avez pas voulu qu’il en fût ainsi ; vous m’avez montré un corps nu et maigre, un homme d’ivoire étendu sur une croix d’ébène, et vous m’avez dit : « Voilà ton époux, ton amant, ton ami. Ce n’est pas un homme, c’est un Dieu, une pensée, un rêve ! Tu vivras de ce rêve, qui te plongera dans des ravissements infinis, et tu te perdras en des jouissances d’imagination auprès desquelles les profanes réalités de la vie ordinaire ne sont qu’abjection et souillure. » Vous aviez raison. Tant que j’ai aimé l’époux céleste, j’ai été heureuse et sainte. Quand j’ai partagé la couche de l’autre, j’ai été avilie et j’ai rougi de moi… À présent, je le hais et je me méprise. Pourquoi m’avez-vous laissée contracter ce lien ? Pourquoi, lorsque j’avais peur de vous et de moi-même, n’avez-vous pas eu le courage de venir me trouver pour me dire : « Que cet homme soit chrétien ou non, je ne veux pas que tu