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reprocher quelquefois, surtout aux environs d’Aix, d’être un peu vignette anglaise, paysage romantique composé et colorié à plaisir. D’autre part, les cultures, où, comme en Italie, la vigne court en guirlandes sur les arbres, mais ici avec une coquetterie plus arrangée, ont un air de fête champêtre qui manque un peu de naïveté. Heureusement, à deux pas de là, le roc nu avec des chutes d’eau dans ses brisures, les ravins profondément tranchés et charriant des blocs au milieu des prairies, les arbres et les terres entraînés par les orages, montrent bien que la beauté primitive conserve ici une certaine habitude terrible, et que ni le touriste de la belle saison ni le patient et laborieux paysan de la montagne ne l’ont encore soumise entièrement à leur profit ou à leur plaisir.

Je regardais ce grand, fier et doux tableau, songeant au plaisir de vivre là, près d’une femme aimée, lorsqu’une voix déjà connue comme si je l’eusse entendue toute ma vie me fit tressaillir et frissonner : c’était mademoiselle La Quintinie, qu’on nous avait dite absente, et qui rentrait de la promenade avec son grand-père. Elle accourait embrasser Élise, et madame Marsanne se hâta de me présenter à M. de Turdy.

C’est un grand vieillard maigre, poli, un peu timide, assez insignifiant à première vue, mais que je ne pouvais cependant pas regarder sans intérêt, car il avait une réputation de grande honorabilité, et je savais déjà que Lucie l’adore. Il m’accueillit avec cette politesse provinciale qu’on raille à Paris, mais que je trouve, fort bonne et fort agréable quand elle n’est pas exagérée, et c’était ici le cas. On nous fit entrer au salon, et il n’y eut pas moyen de s’en aller. Lucie retenait obstinément ces dames à dîner. M. de Turdy, qui connaissait un peu Henri, nous retint tous les deux. On renvoya nos bateliers, on se chargeait de nous faire reconduire le soir.