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même tacitement celle du second. Il était riche, et le saint-siége l’avait autorisé à fonder son établissement religieux dans ce pays de Savoie, qui pouvait un jour ou l’autre être envahi par l’esprit gallican en se trouvant annexé à la France. Pour traiter de l’achat d’une propriété convenable sans trop donner l’éveil à l’esprit d’opposition que le prêtre suppose toujours déloyal, Moreali s’était fait autoriser à prendre l’habit séculier. On pensait peut-être aussi que les fidèles de Savoie étaient aussi jaloux de leurs intérêts que les autres, et que tout vendeur exploiterait la circonstance.

Ce n’était pas là, dira-t-on, une raison suffisante pour que l’abbé prît tant de précautions et voulût cacher jusqu’à son nom. En effet, il en avait donc une autre. Il l’avait dit à Émile, et il n’avait pas menti. Il craignait, sinon pour ses jours, du moins pour sa liberté d’action, car il avait sujet d’appréhender quelque violent scandale venant entraver ses projets. Ne la connaît-on pas maintenant, cette raison ? Il savait que le général La Quintinie lui avait voué de mortels ressentiments, et il se disait que M. de Turdy, malgré son grand âge, n’avait peut-être pas, comme mademoiselle de Turdy, oublié son nom. Il fallait voir Lucie, la convaincre, obtenir par l’enchantement de la parole ce que ses lettres n’avaient pu opérer. Lucie se refuserait peut-être à des rendez-vous, à des conférences mystérieuses. Il fallait pénétrer à tout prix jusqu’à elle. L’abbé avait réussi.

Et pourtant il avait failli échouer. Sa première rencontre avec le général chez mademoiselle de Turdy avait été orageuse. Il avait audacieusement provoqué cette rencontre en se faisant reconnaître et accepter par la vieille tante, après l’avoir fascinée et conquise par ses soins. Ç’avait été l’affaire de peu de jours. Moreali avait d’exquises et chastes séductions dont il connaissait la puissance.