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tels il avait éprouvés en se retrouvant, privé de persuasion intime, en face de cette loi aveugle, sourde et muette ; enfin quel désespoir exalté l’avait jeté dans les bras du père Onorio, un des derniers saints de cette orthodoxie ruinée, un esprit passionné, une vie austère, une parole saisissante, mélange d’inspiration et d’égarement, le cynisme enthousiaste de la démission humaine.

Il avait fallu à la vive intelligence de Moreali, à bout d’efforts, le refuge de cette folie sacrée pour ne pas abjurer toute croyance. Il eût fait de vaines tentatives pour accepter la moderne philosophie spiritualiste, confuse encore à bien des égards, mais éclairée d’en haut, née du divin principe de la liberté, nourrie de la notion du progrès et en pleine route déjà vers les vastes horizons de l’avenir. Cette philosophie se personnifiait devant lui dans M. Lemontier et dans son fils. Il était ébloui, effrayé, indigné de la force de cette réaction contre les doctrines de mort du père Onorio, son dernier asile. Il était trop intelligent et trop instruit pour ne pas se sentir débordé et entraîné ; cette réaction, on eût pu la paralyser en faisant entrer ses lumières et ses forces dans le domaine de la foi ; mais l’Église ne veut pas de ce concours hétérodoxe, et, comme elle, Moreali avait en lui la haine des hommes libres et des écrits nouveaux, cette robe de Nessus du prêtre qui a vaillamment combattu toute sa vie, et qui meurt torturé, consumé, sans avoir pu vaincre.

Moreali, esprit entreprenant et toujours spontané quand même, était venu en Savoie avec de grandes illusions. Il avait cru triompher aisément des velléités de Lucie pour le mariage. On a vu qu’il comptait fonder un couvent d’hommes en même temps qu’elle fonderait un couvent de femmes, et qu’il voulait donner au père Onorio la direction du premier, se réservant pour lui-