Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/25

Cette page n’a pas encore été corrigée

Père, toi qui as aimé, est-ce comme cela qu’on devient amoureux d’une femme ? Se rend-on compte de ce qui vous plaît en elle ? Est-on dans son bon sens quand cette flèche vous arrive sans qu’on l’ait prévue, sans qu’on ait eu le temps de s’en préserver ?… Oh ! le vieux Cupidon avec son carquois et son arc ! Je n’avais jamais songé que ces emblèmes fussent l’explication de l’éternel phénomène, de l’événement fatal, aussi vieux que le monde, et aussi vrai il y a quatre mille ans qu’il l’est encore aujourd’hui.

Mais je suis peut-être fou ! Dans le temps de froid examen où nous vivons, doit-on être ainsi la proie des antiques fatalités et des instincts aveugles ? Ne doit-on pas raisonner tout, même l’amour, et se dire, comme plu^sieurs que je connais : « À quoi cela mènera-t-il ? » Tu ne m’as pourtant pas appris cela, toi ! Tu ne m’as pas recommandé de veiller sur les élans spontanés de mon cœur ! Il m’a semblé, au contraire, que tu désirais me le conserver chaud et entier ; mais tu pensais que j’aimerais Élise et que mon bonheur viendrait d’elle. Je l’ai cherché ailleurs, ou plutôt la fatalité m’a appelé ailleurs, car me voilà malheureux. Du moins, je souffre. Et je vis pourtant ! et je ne sais pas guérir ! C’est bien vulgaire, il me semble ! Je me fais l’effet d’un amoureux classique. Vorrei e non vorrei. Je ne sais ce que c’est, je ne sais ce que j’ai, et je ne sais pas le dire, à toi, médecin de mon âme. J’ai l’orgueil profondément irrité, et par moments je suis honteux de moi. Aide-moi donc à me retrouver ! Je ne comprends pas ce que je suis devenu.

Le jour où pour la première fols j’ai vu Lucie, j’ai passé la soirée à me promener avec Henri. Il a vu, à mon silence, qu’il y avait en moi un changement, et il m’a dit en riant :