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gement de la conscience que de lui écrire ; mais je me regarde comme absolument libre de m’adresser à vous, à vous seul. Je vous aime, monsieur, je vous connais, je vous ai lu, j’ai entendu Émile parler de vous. J’ai vu votre belle âme à travers la sienne. Je vous respecte, je vous estime, je vous chéris. Je vous sais bienveillant, paternel pour moi. Je veux vous ouvrir mon cœur tout entier.

Ce que je ne puis ni ne dois dire à Émile dans la situation de contrainte et d’incertitude où l’on nous tient, je peux, je veux le dire à vous : — c’est mon secret que je confie à votre honneur. J’aime Émile de toutes les forces de mon âme !… Je ne sais pas si c’est de l’amour : je sais que ce n’est pas seulement de l’amitié, car j’ai connu, je connais l’amitié, et je sais qu’elle est un calme absolu, tandis qu’ici le calme et le trouble sont en moi, mais un trouble pieux, une crainte religieuse de ne pas être digne de lui, et un calme divin, une certitude complète de vouloir mériter son affection et me dévouer à son bonheur.

Je me suis demandé cent fois déjà ce que je pouvais faire pour cela sans lui sacrifier des habitudes pratiques qui diffèrent des siennes, et dont quelques-unes l’irritent. Je n’ai pu franchir cet obstacle. Il faut donc que le sacrifice s’accomplisse, je ne recule plus. Un sentiment accepté en nous-mêmes devient aussitôt un devoir. J’ai voulu en vain me le dissimuler. J’ai vu qu’il fallait abjurer ce sentiment, ou le recevoir de Dieu avec toutes ses conséquences.

Je me suis dit aussi que j’avais déjà fait pour l’amitié une partie de ce sacrifice. J’ai respecté les opinions de mon meilleur ami, de mon grand-père, et j’ai été amenée à déployer toute l’énergie dont je suis capable pour les faire respecter par les autres. À l’heure qu’il est, je suis