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aurait indiscrétion à les rejoindre, et puis j’étais blessé, navré de cette fugue de Lucie. Comment n’avait-elle pas trouvé le moyen de m’avertir ? Je me jetai sur un banc ; mais, au moment de désespérer, je vis des caractères tracés légèrement sur le sable et ces mots bien lisibles : Suivez-nous. Sans aucun doute, Lucie, surprise par un caprice de son père, avait furtivement écrit cela pour moi avec le bout de son ombrelle. Je m’élançai. En deux minutes, à travers les broussailles presque à pic, j’avais gagné le sentier, et je voyais le groupe venir à ma rencontre. Lucie s’en détacha, doubla le pas et passa son bras sous le mien.

Émile, me dit-elle très-vite, soyez patient, je vous en conjure, soyez calme ! Ne vous apercevez de rien !… Mon père s’obstine, il veut que je vous convertisse ; il dit que cela dépend de moi, et que notre sort est dans mes mains. Laissez-lui croire que j’y travaille, cela ne vous compromet pas, et ce n’est pas mentir, car j’y travaillerai sans doute ; mais pas ainsi, soyez tranquille, pas sous le coup de la menace, et jamais à titre de compromis entre le cœur et la conscience ! Vous me connaissez trop pour craindre que je ne livre à vos convictions un combat indigne de vous et de moi. »

Elle s’était assise sur une roche, comme si elle eût été lasse, mais en effet pour ne pas abréger ce court tête-à-tête en retournant vers son père et M. Moreali. Ils vinrent très-vite néanmoins, mais j’étais calme, j’étais guéri, j’avais des forces nouvelles. Je crois que j’étais souriant, car le général me dit en fronçant le sourcil, et d’un ton moitié sergent, moitié père :

« Vous avez un air de triomphateur, monsieur Émile ! Prenez garde ! si elle vous dit la vérité, vous avez à réfléchir. »

Au lieu de répondre, je regardai M. Moreali d’un air