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Je ne pus répondre. Le général s’avisait de notre aparté et faisait à Lucie des yeux terribles. Elle feignit de ne pas s’en apercevoir et se rapprocha de son grand-père. La visite se prolongeait. J’attendais que le général fût libre de me parler et qu’il parût décidé à le faire, puisque, pour mon compte, je n’avais plus d’initiative à prendre. Il se leva enfin en disant à M. de Turdy qu’il s’était permis d’inviter M. Moreali à dîner, et il se rendit au jardin pour fumer, mais sans m’engager à le suivre. Je me rendis au jardin presque aussitôt, et, feignant de lire un journal, je me tins à distance pour lui laisser la liberté de m’éviter ou de venir à moi. Il tarda quelques instants à prendre un parti. Je le crois fort irrésolu. Enfin il m’appela pour me faire une question oiseuse, et je dus me prêter à échanger avec lui les répliques d’une conversation étrangère au problème soulevé la veille. Cette conversation roula sur la chasse, sur l’agriculture, sur la Crimée, sur l’Afrique, que sais-je ? Ce brave homme ne sait pas causer : de sa vie il n’a écouté une question ou une réponse ; on dirait qu’il est le seul interlocuteur qu’il puisse comprendre ; il raconte, prononce, juge, pérore, donne des explications que lui demande un auditoire imaginaire, et, parfaitement satisfait de ses propres réponses, il a l’étonnante faculté de parler tout seul et de se faire part de ses convictions sans se lasser. Je l’étudiais avec curiosité, et il acceptait mon silence comme l’admiration d’un subalterne en présence de son supérieur. C’est peut-être chez lui une habitude de rendre ses oracles à heures fixes en dégustant lentement la fumée de sa pipe. Le reste du temps il se renferme dans un majestueux silence d’où il sort par échappées touchantes, brusques ou dédaigneuses ; puis il se tait comme s’il réservait les arrêts de son infaillibilité pour le moment consacré à l’expansion. Il m’a demandé