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Nous avons dîné avec le grand-père, et nous sommes restés ensemble jusqu’au lever des étoiles. Nous les avons regardées avec amour. Lucie semblait accepter l’idée de vivre tour à tour, et peut-être un jour simultanément, par la perception de l’infini, dans tous ces mondes ; elle aime la grandeur de ce beau rêve, elle n’y voit point d’hérésie.

« Les promesses de ma religion, disait-elle, sont tout aussi mystérieuses ; elles donnent à mon âme l’éternité du bonheur dans la contemplation de Dieu, et pour occupation dans l’éternité le soin de chanter ses louanges. Ne tournez pas cela en ridicule. Toute cette vie qui nous entoure au ciel comme sur la terre, n’est-ce pas l’hymne éternel et incessant auquel nous nous associons déjà, et auquel nous brûlons de nous unir chaque jour davantage ? »

Tu vois comme l’esprit de Lucie est vaste et comme son intelligence déborde les étroitesses de la lettre. Qu’est-ce qui peut donc nous séparer, nous empêcher d’être à jamais unis ? Son père ? Cet homme me paraît si peu de chose auprès d’elle, que je ne puis en tenir compte. Pourtant il y a une goutte de fiel dans mon bonheur, je ne sais laquelle ; mais je ne crois pas que je m’en tourmente plus que de raison, et que mon cœur soit ingrat… Je bénis Dieu, Lucie et toi.

J’ai passé cette soirée à t’écrire, et demain je retourne à Turdy, où l’on m’a dit de revenir dîner. C’est ce soir que je dois parler au général. Je te dirai le résultat de mes ouvertures ; mais je ferme cette énorme lettre, et je vais tâcher de m’endormir confiant sous l’aile de ton amour.

Émile.