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l’eût demandé, je n’eusse pas osé lui répondre. Elle avait l’air de l’avoir mieux compris que moi et d’avoir adoré déjà dans son cœur la loi de Dieu dans le travail de cette petite créature.

« À partir de ce jour, Lucette me devint si chère, que ma personnalité disparut pour moi en quelque sorte. Comme si elle l’eût compris, la pauvre petite se mit à m’aimer passionnément. Elle n’était pas démonstrative, mais elle s’attachait à moi comme mon ombre à mon corps, et, si j’étais forcée de la quitter quelques heures, je la trouvais absorbée et comme dépérie. Sa joie était si grande en me voyant revenir, qu’elle avait des étouffements inquiétants. Le médecin, la voyant ainsi, me disait souvent : — « Ne vous y attachez pas trop, elle ne vivra pas. »

« Je pris à tâche de la faire vivre, n’espérant pas trop réussir et pour ainsi dire préparée à la perdre, mais pénétrée du désir ardent de faire sa vie aussi pleine et aussi douce que possible. Cette préoccupation devint mon unique pensée, et, pendant six mois, je vécus aussi absente de moi-même que si je ne m’étais jamais connue. Toutes mes pensées, toutes mes inquiétudes, toutes mes espérances avaient cette enfant pour objet, elle était le but de ma vie. C’est en vain que j’essayais quelquefois de me reprendre et de m’interroger ; je ne pouvais plus me répondre, j’aimais l’enfant et l’enfance plus que moi-même.

« J’en étais venue à ressentir tous les mystérieux instincts de la maternité. La nuit, j’étais comme avertie de ses étouffements, et je m’éveillais avant elle. En la promenant, je sentais venir à l’horizon le souffle d’air un peu trop frais pour sa poitrine délicate. Cette enfant toujours dans mes bras, sur mes genoux ou pendue à ma robe, impatientait un peu mon grand-père, et lorsque,