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Grande erreur ! Le public ingrat ou équitable est toujours plus sérieux que vous ne pensez. Il est moins sensible à la phrase et au style qu’à la révélation d’une conscience quelconque. Ton essai a les qualités et les défauts de ton temps et de ton milieu. Avant tout, il est poseur, et, toi qui fais avec tant d’esprit la guerre à ce travers, tu en es pénétré de la tête aux pieds.

La grande pose du moment, c’est d’avoir du style et de l’esprit, du goût et de l’originalité à propos de tout. Il y a trente ans, on posait l’homme rassasié et dégoûté de tout, désespéré par conséquent. C’était faux la plupart du temps, mais c’était logique : si tout est fini, finissons nous-mêmes. Aujourd’hui, on dédaigne et on insulte tout ce qui fait la vie sérieuse et significative, on s’avoue impuissant à le comprendre et à le goûter, et on rit ! Il n’y a pas de quoi, je t’assure !

Ce qui me déplaît dans cette gaieté, c’est qu’elle n’est pas gaie, elle est aigre et froide ; elle cherche à blesser, et pourtant elle ne tient pas à blesser, puisqu’elle ne tient à rien. Voltaire, méchant parfois, brutal même et cynique, fit aimer sa moquerie, parce qu’elle montrait une ardeur de lutte qui était une croyance, une volonté, une véritable mission philosophique. Aujourd’hui, on combat des personnes et point des idées, des ridicules et point des actes. On joue au méchant, et l’on est inoffensif. On s’évertue à être amusant : on est triste.

Ton livre n’est pas jeune : où trouver aujourd’hui un livre jeune sorti d’une jeune plume ? J’en cherche, j’en attends un chaque matin, je n’en vois pas naître. De la critique, toujours de la critique ! Les romans mêmes sont la satire de la vie. Il me semblait que le blâme du temps présent était notre affliction classique, notre maladie fatale, à nous autres vieillards. Point ! nous sommes