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le suivait des yeux d’un air inquiet, comme si elle eût craint qu’il ne nous quittât, et, quand il revenait à nous, elle le regardait avec un mélange singulier de reconnaissance et de reproche. Il lui prenait la main ou lui disait quelque bonne parole. Elle se résignait, et rien ne trahissait ouvertement l’espèce de lutte établie entre eux.

Le long de la route, il me questionna sur mes études. Je vis bien, à ce moment-là, qu’il savait à peine lire et écrire et qu’il avait fort peu de notions d’histoire et de législation ; mais il était très-habile en fait d’arithmétique et connaissait la géographie d’une manière remarquable.

Je puis dire que je fis connaissance avec lui dans ce voyage et que je me pris d’une vive affection pour lui. Ma sœur, qui n’avait que dix ans, avait toujours eu un peu peur de ses manières brusques, de sa voix forte, de sa grosse barbe noire et de ses yeux étincelants. Quand elle le vit si bon, si tendre avec nous et si attentif auprès de notre mère, elle se mit à le chérir aussi.

Ma mère vit naître avec plaisir cette union entre nous.

— Mes enfants, nous dit-elle dans un moment où il dormait dans la voiture et où nous le regardions en