Page:Sand - Ma Soeur Jeanne.djvu/66

Cette page n’a pas encore été corrigée

appelai le médecin, un très-bon médecin qui cependant se trompa sur la gravité de son mal. Il connaissait la forte constitution de mon père et ne croyait pas que l’affection dont il souffrait pût être de longue durée ni prendre un caractère sérieux. Il en fut pourtant ainsi. Le mal empira avec une rapidité effrayante.

Mon père n’avait jamais connu le chagrin. Une seule fois dans sa vie il s’était vivement affecté : c’est lorsqu’il avait vu la dot de sa femme fondre dans ses mains. Il avait vite réparé cet échec ; mais cette fois la perte était plus sérieuse. Homme positif, il ne pouvait se résigner à perdre la fortune qu’il avait si péniblement acquise. Il souhaita mourir et mourut. Ce fut un coup terrible pour ma mère qui l’avait toujours tendrement aimé, un déchirement profond pour moi qui le chérissais et qui avais connu de lui que sa bonté indulgente ou ses tendres brusqueries. Jeanne fut consternée et pleura beaucoup. Je ne sais si elle s’obstinait à ne pas le considérer comme son père, mais elle le regretta bien sincèrement et montra une sensibilité profonde qui rapprocha nos cœurs. Nous cachions nos larmes à notre pauvre mère ; nous pleurions comme en cachette, mais nous pleurions ensemble, et nous nous promettions de nous aimer