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avec moi que j’avais droit, par mon travail et ma bonne conduite, à toutes les conditions de mon développement intellectuel. Une circonstance particulière me rendit ce voyage encore plus agréable. J’avais fait un ami à Montpellier, un garçon charmant doué d’une vive intelligence et d’un cœur excellent, Médard Vianne, plus âgé que moi de deux ans. Il avait déjà été à Paris, il y retournait. Il guiderait mon inexpérience, nous demeurerions ensemble, cela arrangeait aussi mon père, qui n’avait point coutume d’être un surveillant bien assidu. Vianne vint me prendre à Pau, ma mère l’invita à dîner. Il lui plut fort, lui inspira de la confiance ; elle me recommanda à ses soins comme si j’eusse été un enfant délicat et précieux.

Vianne vit ma sœur et fut vivement frappé de sa figure. Elle parlait si peu qu’il était difficile de savoir à quoi elle pensait et si elle pensait à quelque chose, mais elle consentit à improviser sur son piano, et son génie se révéla. J’en fus ébloui moi-même, et, quand elle eut fini, je saisis ses deux mains et les baisai avec enthousiasme.

— Voilà, lui dis-je, tout ce que j’ai dans le cœur : je suis heureux et je te remercie !

Vianne était si ému qu’il ne put parler. Il était pâle, Jeanne aussi. Elle ne leva les yeux ni sur lui ni